Des mauvais Musées et des beaux Chiffons

(post long, lourd et plein de photos)


Je suis une snob. Une pourriture de puriste. Une psycho-rigide du costume. Ceci a déjà été établi, il y a quelques temps. Je ne m'en défendrai pas, j'en suis fière. Maaaaaaaais... cela rend ma vie difficile, parfois.


Quand je vais dans une exposition de costumes, par exemple, il arrive je me mette à parler à haute voix -- toute seule, bien sûr, sinon c'est pas vraiment drôle -- pour dire que les installateurs de l'expo sont des sagouins ignares et que tous les visiteurs me regardent comme une malappris, alors que, bon... euh... j'ai raison, quoi !

Je crois qu'il n'existe rien de pire -- RIEN, même pas la Peste et le Choléra -- qu'un musée possédant des pièces exceptionnelles et des employés incompétents (le Musées des Tissus de Lyon, pour ne pas citer son très beau nom). Je le dis tout net : il y a des choses inadmissibles, qui mériterait qu'on coupe une ou deux têtes, à l'ancienne (oui, on va parler de XVIIIe siècle, vous pensiez quoi ?). Il est inadmissible que je sois plus compétente que des spécialistes en costume et en textiles. Je ne devrais pas à avoir à reprendre des gens dont c'est le métier sur des trucs aussi basiques que des datations de robes à la française. Non, je ne devrais pas aller dans un exposition qui me dit que les compères datent des années 1760-70 et remplacent la pièce d'estomac (plus ou moins vrai, mais un peu beaucoup simplifié) et alors que l'autre côté de la vitrine me précise que les compère se portaient avec la robe ballante datant de 1720 (je n'invente pas, c'est bien ce qu'il y a dans l'expo !).


Alors oui, je vous l'accorde de très bonne grâce : l'exposition "Si le XVIIe siècle m'était conté..." est exceptionnelle de par son contenu. Et si vous vous n'y connaissez rien en costume, vous aurez l'impression d'apprendre plein de trucs vrais et passionnants (et faux) et vous vous en foutrez (je cite plus ou moins la réponse d'une visiteuse quand je lui ai dit que le panneau qu'elle était en train de lire était bourré d'erreurs : "oui, mais vous savez, pour nous qui n'y connaissons rien, c'est déjà pas mal...". Oui, madame, le révisionnisme, quel que soit le sujet historique, quand on n'y connait rien, c'est toujours mieux que rien... Laissez-moi aller enterrer ma prof d'Histoire de mère vivante, et après je reviens finir cette passionnante conversation avec vous...). Si vous y connaissez un peu, vous vous sentirez super intelligent d'en savoir autant que des "spécialistes". Si vous vous y connaissez vraiment, vous vous taperez la tête sur les vitrines en demandant qu'on vienne vous achevez.


Je pourrais trouver plusieurs raisons parfaitement valables à ce je-m'en-foutisme flagrant, et d'ailleurs, certaines de ces raisons m'ont retenu d'aller écrire une pleine pages d'insultes sur le livre d'or.

Cette expo a été improvisée. Elle a été créée en urgence pour remplacer une expo prévue elle depuis longtemps, mais qui a dû être repoussée par le musée. Si vous arrivez à faire une expo improvisée sans erreurs, chapeau bas, je vous salue, vous êtes très forts. Je crois que personne n'en est capable : ça peut expliquer certains textes plus qu'approximatifs, des datation fausse de 10 ans (en trop ou en moins, pas de jaloux) ou certains mannequi... non-mannequinages. Ça peut les expliquer. Mais ça ne peut excuser qu'aucune de ces erreurs n'ait été corrigée par la suite. Ça, c'est un manque de professionnalisme indigne d'un grand musée.

Sauf que c'est un grand musée fauché. Clairement. Je n'ai pas besoin de voir les comptes pour le savoir. Deux gardiens en tout et pour tout pour surveiller autant de salles, la collection permanente et les multiples expos ? Oh my... Une historiographie du costume qui date des années 80 (qui de nos jours, dans les musées du costumes, utilise ENCORE sérieusement l'expression plis Watteau ? Ce n'est pas historique, c'est juste une appellation facile, plus facile que "Le Pli", appellation d'époque. Tous les autres musées, qui se veulent sérieux, ont cependant décidé d'y renoncer dans leur expos et leurs livres. Je n'avais pas vu cette expression depuis des siècles).

Tout l'argent du musée passe dans les restauration. Ça se voit : c'est Beau (tm). Un travail de fou. Des restauratrices (oui, j'ai pas vu de noms d'hommes) textiles géniales. Des heures de boulot. Une vraie fierté. Bousillé par un environnement d'ignorance crasse, ou des restaurations/ reconstitutions de costume ratées datant des années 80. Ou alors, cet argent passe dans du bling-bling trèèèèèès tape-à-l'oeil qui plaît à la geek en moi, mais un peu moins à l'amateure de musées : reconstituer des pans entiers de vêtements avec la reproduction du motif à l'identique grâce à de géniales imprimantes à jets d'encre, je le redis, ça fait frétiller la geek en moi, qui envie la machine parfaite pour reconstituer des tissus d'époque pour faire du costume. Mais je sais aussi que ce genre de technologie a un coût qui serait bien mieux utilisé ailleurs. Et qui ne l'est pas. On est dans l'ère du bling-bling, oui ou merde ? Merde...


Alors, rien à en tirer de cette expo ? Si : des pièces magnifiques. Et comme je suis une mauvaise fille, j'ai même fait des photos. (Malheureusement, comme j'ai dû esquiver les -- deux -- gardiens pour ce faire, je n'ai pas pris des photos de tout, je m'en mords les doigts. Vous aussi). Au niveau informatif/histoire du costume, je n'ai appris que deux trucs que je ne connaissais pas, sauf que voilà : vu le bas niveau de l'expo, je ne sais pas à quel point je peux faire confiance à ce musée pour m'apprendre des trucs, et je doute de la véracité de ce que j'y ai appris. Et un musée qui a perdu sa crédibilité...


Allez, des images et des explications pour vous remettre un peu de ma logorrhée :


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Cette robe est très intéressante à plus d'un titre. Si vous la regardez attentivement, vous vous apercevrez qu'elle est mannequinnée n'importe comment : les plis sur le côté qui devraient s'épanouir sur les petits paniers, tombent bêtement derrière (commentaire d'une visiteuse qui n'y connaissait rien parlant à sa fille rêvant de reproduire la robe : Non, celle-là, elle pas jolie pas rapport aux autres, elle tombe comme un sac". Je ne vous le fais pas dire...), et sur le devant, on voit les plis qui "baillent". C'est parce que le mannequin fait une à deux tailles de trop par rapport à la robe.

Ce qui est une connerie vue que cette robe est un exemple passionnant : c'est ce que le musée appelle une "robe à la française de bourgeoise" (pour eux tout est "une robe à la française de cour" ou "de bourgeoise". Entre les deux, il n'existe rien : même pas la vraie vie) Plus simplement, c'est une robe de tous les jours. Probablement portée par une bourgeoise vue la qualité de la soie, mais même de cela, on ne peut pas en être sûrs. On ne connaît pas grand chose sur les vêtements d'intérieur, de tous les jours, et de campagne des aristocrates, sauf qu'ils les donnaient à leurs serviteurs (qui n'avaient sûrement pas grand chose à faire des "robes à la française de cour").

En quoi la qualité de la soie est-elle une indication ? C'est un mélange de soie domestiquée et de soie sauvage !!! (c'est une des deux choses apprises dans cette expo) C'est intéressant d'un point de vue sociologique : oui la soie sauvage, ça existait en Europe autrefois, ils n'étaient pas plus ni moins snobs que nous. Et c'est intéressant pour vous et moi, petits reconstituteurs curieux : oui, on peut utiliser de la soie sauvage ou du dupion (qui n'est pas histo, mais qui ressemble comme deux gouttes d'eau à de la soie sauvage) pour faire des costumes XVIIIe. D'ailleurs, deuxième confirmation : un dos de gilet d'homme de la même expo en sois sauvage (pas préciser dans l'expo, mais c'est plus qu'évident à l'oeil nu.

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Magnifique veste 1740. Elle a souffert niveau conservation, mais on ne se plaint pas, on bave. Pour ceux qui n'y connaisse rien, un vrai lamé, c'est ça. Caraco de jeune fille d'après le musée. ??? Pourquoi ? Parce qu'il a un petit buste ? Pas crédible. En dehors de ça, il est mannequinné sur un buste trop petit (la jeune fille en question était rondouillette), mais j'accorde un joker sur le coup : vu son état, le mannequiner à la taille requise aurait peut être trop tiré sur les coutures.


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Cette robe a catégoriquement refusé que je la photographie correctement de face. Une grande timide.

Elle est utilisée par le musée pour expliquer la robe à la Française (dont l'usage de la pièce d'estomac !) avec une datation de 1760. Le premier qui trouve la pièce d'estomac gagne mon coeur, je la cherche encore... Quant à la datation : vue l'étroitesse des plis dans le dos, c'est du 1770 finissant. On ne se marre pas, l'inculture est une chose sérieuse.

Ils sont donc passés à côté de la partie la plus intéressante, à savoir que cette robe a été modifiée (on voit encore les anciennes traces de plis sur le devant) de manière à supprimer totalement la pièce d'estomac ou les compères. Si vous regardez la première photo, vous trouverez probablement l'explication de ces modifications : oui, ça ressemble très fort à une robe pour femme enceinte. Oh my gosh : enseigner au gens qu'on tombait déjà enceinte au XVIIIe, oh non ! Trop shocking ! Il y a des enfants dans la salle, enfin !


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Cette robe est une merveille. Et elle est BIEN mannequinnée. Vos gueules les mouettes, je profite.

Robe à l'anglaise, v. 1780. Ça ne se voit pas sur les photos malheureusement, mais deux petites pièces du dos sont piècées de manière très discrète, en respectant les rayures. Sachant que le pièçage se faisait à la hussarde au XVIIIe, cette robe est très clairement un vêtement de luxe, fait pour une cliente exigeante.

Elle n'est pas repassée exprès, le repassage bousille souvent la soie, donc quand les pièces sont trop fragiles, on ne les repasse plus. Jamais.



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On ne voit pas grand chose. Corps baleiné avec manches. Le Musée oublie de préciser que la pauvre petite chose est passé à la boucherie avant d'atterrir en ces lieux. Ce qui est une pièce magnifique a été salement remanié au XIXe. En plus de l'ajout d'oeillets en métal (qui ne sont pas inventé avant au moins 1840, de mémoire), bizarrement recouverts d'une espèce de peinture bleue claire bizarre (???), les manches ont été recoupées. On ne le voit pas sur les photos, mais elles sont sensées avoir la même taille d'emmanchure que le corset, pourtant elles sont minuscules. Et courtes aussi. Un beau corset transformé pour servir de costume à une petite fille. snif...


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Non. Non non NON. Ceci n'est pas un corset (1730-50. Difficile à dater). S'il suffisait d'avoir du baleinage sur le devant pour être un corset, je connais un tas de guêpières nulles chez TATI qui sont des corsets.

Par ailleurs, je ne vois pas ce qui prouve que c'est, sans l'ombre d'un doute possible, un corset pour femme de la domesticité comme essaie de le faire croire le musée (soies venant de don de vêtement des patrons réutilisées pour créer cette pièce). Ce que je vois moi, c'est un très belle pièce, travaillée finement et pas à la va-vite et qui a survécue au temps quasi intacte. Comment ? Pourquoi ? Un vêtement de domestique conservé par qui ? Et puis d'abord, quel genre de domestique ? Je ne sais pas. Pas compris. De l'éducation des masse en inventant des contes de fées. Bizarre, au mieux.



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Ça, c'est le cadeau du musée destiné au gens qui s'y connaissent en costume : les différentes doublures utilisées à l'intérieur d'une robe à la française 1770. Le reste des gens s'en foutent :/



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Habit pour petit garçon de 7 ans :)



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Gilet d'homme brodé. Tout est brodé. TOUT est brodé. Non ce n'est pas du tulle; NON ce n'est pas du tulle !!!!


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Voici mon grand moment de soliloque à voix haute dont j'ai parlé plus haut. La première fois que je suis allée à l'expo, il y avait tellement de choses à voir, que je n'avais pas vu ça. A première vue, vous ne devriez pas comprendre non plus. C'est normal : c'est du grand n'importe quoi.

A la Cour de France; on pouvait rajouter une traine détachable à son costume de Cour. Il faut savoir qu'un costume de Cour se constitue d'un corsage baleiné et d'une jupe séparée sur lesquels rajouter et enlever un élément à la taille est FACILE. Avec Marie-Antoinette, le Costume de Cour a perdu de sa "valeur" : Marie Antoinette le détestait (le corsage baleiné était le vêtement le plus douloureux à porter qui soit) et a fait en sorte qu'il soit utilisé le moins souvent possible. Donc, on s'est mis à porter la Robe à la Française à la place, mais on n'a pas abandonné la traîne pour autant. Ce que vous voyez-là est une traîne.

Maintenant, utilisez votre sens commun : sur un robe dont le dos est un pan flottant de tissu, où fixez-vous la traîne ? La mauvaise réponse est : à la taille.

Ce qui pourtant n'a gêné personne dans ce musée à la con !



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Voilà mon nouvel amour. Il est Parfait (tm). D'ailleurs il est à moi, pas touche !!

Ensemble daté 1790, mais qui m'évoque beaucoup 1880 !!! Je m'explique : cette veste a des pinces. Sauf qu'elle n'existe pas au XVIIIe. Les pinces servent à cintrer les vêtements sur un corset sablier. Hors le corset XVIIIe est un cône renversé. C'est la coupe du vêtement qui fait l'ajustage.

Bon, à côté de ça, ce vêtement a probablement été taillé dans une redingote et un gilet d'homme, et dans ce cas-là, les pinces étaient peut-être nécessaires au schmilblick. On ne le saura jamais. Et le badaud lambda ne pourra pas s'interroger sur cette épineuse, mais passionnante question, puisque la possible origine XIXe du vêtement n'est pas mentionnée.

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Quand je parle de superbe travail des restauratrices, je parle de ça. C'était noir de crasse et déchiré au départ.

Pour continuer la visite, plein d'autres photos ici

Commentaires

  1. Oh yay, tu a pris de chouettes photos, et j'adore toujours autant l corsage mystère baeiné devant.... Ah, et le corsage modifié 1880... *soupir*

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  2. Merci beaucoup pour cet article !
    Passionnée de costumes, notamment du XVIIIe siècle, j'étais allée visiter cette expo au mois de juin.
    J'ai également certaines interrogations concernant les descriptifs et explications proposées mais n'ayant pas une culture si précise en la matière, j'ai pensé avoir tort.
    Votre article m'a permis d'y voir plus clair (notamment pour ce corsage faussement 1880...).

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