La moustache de Pierre, et autres détails

Qu'est-ce qu'on peut continuer à lire comme conneries sur les blogs français, c'est affligeant. Aujourd'hui, je me sens vachement moins bête, dites : j'ai appris qu'on pouvais faire une blague raciste sur les cheveux afros pour parler de coiffures XVIIIe siècle, qu'être en cheveux, c'est malpoli, que les lunettes pendant l'Ancien Régime, c'est maaaaaaal, que la moustache n'a jamais existé en 1700 et quelques, que les conventions sociales d'apparence c'est seulement une question de bonne éducation et de respect des gens que vous croisez, que la crinoline a existé au XVIIIe siècle, etc... Bref, j'ai l'impression d'avoir pris de l'antigel, et de me l'être versé dans l’œil pour me nettoyer le cerveau. Ça fait MAL, bourdiouche de chèvre de Dieu !

J'avoue que je ne sais pas par quoi commencer...

La remarque raciste me semble un bon début. Elle l'a modifiée pendant que j'écrivais cet article, mais elle a oublié que le cache Google ne ment jamais :

Avant


Après que plusieurs personnes lui ai mentionné en commentaire que c'était raciste.


Vous apprécierez le commentaire "très Jackson Five". On applaudit bien fort Fanny.

Allez, maintenant, on s'occupe du reste.

1 ) Les conventions de civilité et de respect de l'autre, patati patata, parmacha... non. Les conventions sociales de l'apparence, c'est d'abord une question de considération de soi-même, comment on se voit, et comment on veut que le reste de la société nous voit. Ce sont des conventions beaucoup plus calculées que la simple politesse, aujourd'hui, comme autrefois. Si ma grand-mère porte toujours ses cheveux longs en chignon, c'est parce qu'elle ne veut pas qu'on médise d'elle, pas parce qu'elle se soucie de respecter l’œil du passant, ou parce qu'elle est bien élevée. Elle sait que les conventions sociales actuelles -- belles saloperies, entre nous -- disent que les cheveux longs représentent la sexualité féminine et qu'il est indécent qu'une vieille femme ose avoir une sexualité passée la ménopause. Ma grand-mère se soucie plus de ne pas paraître indécente, que de ne pas l'être réellement.

En ce qui concerne la reconstitution historique, le but du jeu est de comprendre les normes de représentation de chaque époque, pour essayer de les reproduire, pas d'obéir à des commandements bêtes de l'ordre du : "c'est malpoli !". Ce qui est malpoli pour une duchesse de la Cour de Louis XV ne l'est pas pour la femme d'un marin du Havre et inversement. Chacun évolue dans une société précise qui a ses propres codes. Ces codes incluent aussi les impératifs économiques. C'est bien beau de dire qu'une femme doit toujours porter un chapeau quand elle sort, mais les chapeaux (en ce qui concerne les femmes) sont réservés aux élites : bourgeoisie de moyens et aristocratie. Les femmes d'économies plus faibles portent des coiffes. Mais là aussi il y a des variations : chez les bourgeoises commerçante, maîtresses ou épouses de maîtres (le plus haut degré de capacité dans les domaines de l'artisanat et autre : 5 ans d'apprentissage, plus 5 ans de compagnonnage, le tout payant, et cher), la coiffe portera dentelle et dévoilera les cheveux, chez les marchandes de fleurs et les fruitières, la chevelure sera entièrement cachés sous la coiffe. Normes de pudeur et de représentations différentes, mais aussi, encore une fois moyens différents : on se fait coiffer par un coiffeur, quand on expose ses cheveux, parce qu'on veut montrer qu'on en a les moyens. L'espace public est celui où on construit sa réputation. Il ne s'agit aucunement de politesse ou de bienséance, mais de tactiques de construction de l'image de soi. 

Les femmes portent-elles toujours coiffes et/ou chapeau ? Être en cheveux, c'est forcément malséant ? On va pas trop se faire chier, on va regarder ce que nous disent les images.

Erzherzogin Maria Christine, par Marcello Bacciarelli, 1766


Marie du Muralt, par William von Moll Berczy (Peintre québecois d'origine allemande)

Portrait de femme, par Marie-Victoire Lemoine, 1790

Je résume : elles sont riches, elles sont en intérieur, elles sont en cheveux. Des questions ?

Les hommes portent-ils toujours le chapeau ? Oui et non. En intérieur, jamais. Alors que les femmes qui portent un chapeau en extérieur, ne l'enlèveront pas en passant en intérieur (en visite), les hommes si. Le chapeau masculin est un objet de représentation dans l'espace public, pas dans l'espace intime. Au XVIIe, certaines perruques hautes ne permettaient pas de porter de chapeau sur la tête. On le gardait souvent sous le bras. C'est un objet qui porte beaucoup de significations hiérarchiques, économiques, et sociales. Hiérarchique, parce qu'un chapeau avec ou sans cocarde (avant la révolution) va signaler des liens militaires. Sociale, parce que si les hommes plus ou moins riches portent le tricorne si connu, les petits bourgeois se signalent par le port du chapeau rond (très élusif pour le costumier, d'ailleurs : pas moyen d'en trouver un représenté correctement) les couches populaires par le bonnet. Ces deux derniers portent des stigmates sociaux : quand on veut dénoncer le Duc d'Orléans comme comploteur qui a organisé les journées d'octobres 1789, on l'accuse d'avoir été vu dans le Faubourg Saint Antoine (quartier populaire fortement insurrectionnel de Paris), en habit bourgeois et chapeau rond : pas seulement une déchéance pour un prince de sang, cousin du Roi, prétendant au trône, mais une vraie salissure pour celui qui l'accuse. La petite bourgeoisie est entaché d'un aspect, d'un paraître pas tout à fait digne. Économique enfin, parce que le chapeau, comme la dentelle sur la coiffe et les cheveux faits par un coiffeur, témoigne de la valeur économique de son porteur aux yeux de tous : laine ou castor, la différence se voit de loin.

Vous noterez aussi que quand on réduit toute la complexité des apparences vestimentaires à travers les siècles à une question de convention et de politesse, de gens "bien mis", finalement, on va largement à découvert dans son mépris de ceux qui seraient éventuellement "mal mis" : les pauvres. Soyons clairs, seuls les mendiants, et ceux qui vivaient au bord de la mendicité étaient "mal mis" (et encore, ceux qui luttent pour garder la tête hors de l'eau, quelles que soient les époques, sont souvent ceux qui font le plus d'efforts pour obtenir quelques bribes de paraître "conventionnel"). Croire que les pauvres sont naturellement mal mis, premièrement, c'est afficher sans complexes ses idées politiques 2015-Les Républicains Pétainistes, deuxièmement, c'est reprendre la propagande et l'opinion des élites de l'époque. On ne fait pas de l'histoire comme ça.

 
2) La crinoline a existé au XVIIIe siècle. Mouarf.... ha ha ha ha haaaaaaa !

La crinoline est inventée au XIXe, elle tire son nom du tissu de crin avec lequelle elle était faite avant d'être faite d'une cage métallique. Avant 1850, point de crinoline donc. Mais des paniers. Oui, je sais, les mots ont un sens, c'est super chiant. Le panier fait ses débuts vers 1705-1710, on n'a pas la date exacte. On sait seulement que vers 1720, il est largement décrié par les censeurs, dans les sermons religieux, etc. Il est alors... rond. Ben oui. Il ne dure pas longtemps, dit-on, ce paniers rond ? Comme c'est celui qu'on met en particulier sous les robes volantes (ou battantes), ancêtre de la robe à la Française, on va dire qu'il a une belle vie. Il prend petit à petit une forme ovoïde avec les liens à l'intérieur qui se ressert. Il se fige dans cette forme autour de 1735-1740. Donc oui, le panier rond a existé, ce n'était pas une crinoline, et il a quand même pas mal duré, même s'il est peu représenté dans la reconstitution.

La prochaine fois que vous entendez quelqu'un parler de crinoline  au XVIIIe siècle, vous lui tchiper votre mépris à la gueule de ma part. Quiconque ne sait pas utiliser le vocabulaire de base devrait être privé de reconstitution.


3) Les lunettes dans la reconstitution, c'est maaaaal. Et les fauteuils roulants, c'est mal aussi ?

Bref, un handicap, est un handicap, ça ne se discute pas, point barre. Quelqu'un vous fait une remarque parce que vos lunettes ne vont pas avec la robe à paniers ? Dites-lui que la taille de vos lorgnons est proportionnelle à la taille de sa cervelle. Et cracher-lui à la gueule. Mérite même pas un tchip, ce genre de crétin.e.

Petit détail, par contre, pour les faux-culs : "mais on ne va pas s'acheter une paire de lunettes pour chaque époque !" Je possède une paire de lorgnons anciens fin XIXe - début XXe. Ce sont des lunettes rondes à fine montures métalliques. Vous savez quoi ? C'est à peu de chose près la même forme qu'au XVIIIe. Si vous êtes très branchés reconstit', vous investissez dans UNE paire, qui vous servira aussi de rechange pour le quotidien. Sinon, basta. On ne discute pas avec le handicap. Mais les arguments frelatés, arrêtez.

4) La barbe et la moustache, marque d'un grand laisser-aller au XVIIIe...

Pierre Ier de Russie, mort en 1725, salue les cons. Oui, incroyable, 1725, c'est au XVIIIe siècle.

Pierre Ier de Russie (détail), par Jean Marc Nattier, 1717

On ne le répètera jamais assez : CONTEXTE ! En Russie, au XVIIIe, la moustache, ça passe. Pierre Ier a fait officiellement supprimer la barbe qui se portait encore à la fin du XVIIe, mais il a gardé sa moustache. Il est probable que dans beaucoup de campagne française, barbes et moustaches passent aussi. La "mode" des élites et des centres urbains, n'est pas un dictat pour tout le pays, ni toute l'Europe ou le monde occidental. Et ne confondez pas "laisser-aller" avec "méprisons les couches populaires qui ont du poil au menton".

***

Faire du costume, et de la reconstitution, ce n'est pas exactement la même chose. Si vous n'aimez que les frous-frous, vous êtes dans le déguisement plus que dans le costume, et les conseils d'historicité d'X, Y ou Castaflûte, vous n'en avez de base rien à carrer. D'ailleurs, vous vous êtes perdus en venant sur ce blog. Si vous cherchez à reproduire au plus près une réalité du costume, vous faites de la reconstitution, même si elle se limite au vêtement. Parce que le costume, c'est plus que du tissu, c'est l'histoire des mentalités. Et si vous faites de la reconstitution, vous devez donner de votre personne, faire des recherches : vous devez vous intéresser à ce que vous essayer de reproduire, le comprendre. Ça vous prendra des années, vous ferez des faux-pas, vous testerez des théories (l'histoire est une science sociale), vous vous amuserez beaucoup. Vous ferez tout ça vous-mêmes, et vous en serez sacrément fiers. Vous n'irez pas suivre des conseils débiles sur un blog débile. Vous picorerez des idées, des analyses sur plein de blogs et vous les vérifierez par vous-mêmes. Mais je le répète, vous ne suivrez pas une liste de conseils débiles écrits à la hâte. Par respect pour votre propre intelligence, et par respect pour votre hobby. Parce que le seul bon conseil qu'on doit donner à quelqu'un qui fait de la reconstitution, c'est :

FAIS TES  PROPRES RECHERCHES !  

Tu me remercieras plus tard pour le meilleur conseil qui soit au monde.

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