Les dames de la Halle


Dimanche, ma fidèle comparse et moi allons nous encanailler aux fêtes révolutionnaires de Vizille. Cette année, nous avons décidé très tôt de faire enfin des costumes vraiment populaires. La dernière fois, nous étions en casaquins plissés et nous passions plus, surtout moi, en tissu coordonné des pieds à la tête, pour des bourgeoises. Cette année donc, aucune concession : nous seront des femmes du peuple des chevilles à la tête (ouais, au niveau chaussures, moi, je serais en moderne. Je n'ai pas encore de bonne chaussures historisantes pour du populaire.)

Qui dit costume populaire, dit manteau de lit, dont on trouve le patron dans L'art du tailleur de Guarsault. (vous trouverez une version débroussaillée en anglais moderne sur le site de marquise.de. Je rajouterai juste à son adaptation de ne pas oublier de rallonger les manches. Je ne l'ai pas fait, et clairement, elles sont trop courtes. Elles sont censées arriver au milieu de l'avant-bras. Une fois leurs extrémités repliées, les miennes m'arrivent aux coudes.)

Nous avons donc fait toutes les deux des manteaux de lit. Martha a bien sûr, comme chaque année, aussi fait les costumes de ses enfants, mais ça surprise !, vous les découvrirez au retour de Vizille. Par contre, elle a déjà posté son manteau de lit sur mannequin.

J'avais déjà tout le reste des éléments. Je comptais vous faire un habillage (ou un déshabillage) complet (avec explications : mais pourquoi a-t'elle mis son fichu à l"extérieur de son manteau de lit ?) , mais il fait 37°C... alors ce sera pour un autre jour ^^ Même l'explication pour le fichu. Oui, je suis vache, avec vous. (En fait, c'est pour me forcer à vous faire l'article en question plus tard dans la semaine). 



Mais souris enfin ! *crève de chaud*

Par contre, je vais vous montrer mes petits plus.

Je voulais un costume réaliste. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de vraiment fatiguer le tissu, pour lui donner l'aspect d'un tissu qui a vécu, par contre, j'ai travaillé comme une couturière du XVIIIe siècle, parfois avec l'aide de ma nouvelle maladresse en couture et de ma tête de linotte.

La doublure est multipiécée : je l'ai prévue ainsi.


J'ai volontairement déchiré mon tissu en pans trop petits pour couvrir toute la largeur du vêtement (qui est par ailleurs très large). Et je peux vous dire que les trois quart de la couture de ce vêtement très simple est passé dans le piéçage. C'est looooong. 

Je n'avais pas prévu de piécer tant que ça mon tissu de dessus (tissu IKEA très épais et très très lourd. Je ne m'en étais pas rendu compte en l'achetant.) Mais comme une linotte que je suis, je suis partie en vacances sans mes morceaux de tissus restants, et je suis tombée en rade. Retourner chez IKEA ? Il fait 37°C ! Et puis, c'est tricher. J'ai donc piécé avec des petits restes d'un autre tissu.

 

Je n'en avais aucun qui avait la bonne couleur, j'ai donc essayé de trouvé un tissu neutre : sombre et uni, mais pas noir (trop voyant). Une bande prise sur un bras est cachée dans le repli, et les morceaux pris dans les plis de côté, son partiellement cachés à la fois par les plis et le tablier.

 

Les morceaux récuppérés ont servi à piécer le col et les goussets sous les bras.

J'ai aussi, par maladresse, déchiré mon tissu au niveau du cou : parti caché par le fichu, mais visible quand porté sans le fichu. Aujourd'hui, on recouperait la pièce pour qu'on ne voit rien ou presque. Mais au XVIIIe, les vêtement, sont rares et chers. On rafistole de partout.


J'ai donc recousu ma déchirure.


Autre petit plus : les poches ! Non pas les poches elles-mêmes (qui sont dépareillées, certes, mais ne sortent pas de l'ordinaire), mais leur contenu. En m'inspirant de cette transcription partielle (les hommes sont encore à faire) que j'ai faite, j'ai essayé d'imaginer ce que pouvait avoir dans les poches une femme de la Halle, ou simplement une femme du peuple, en 1789. La différence entre l'évènement (la tragédie) transcrit, c'est que celui-ci parle du contenu des poches des gens sortis le soir pour aller voir un feu d'articice. J'ai essayé d'imaginer ce que pouvait être les poches d'une femme dans la journée, avec ses instruments de travail, mais aussi, les élements de base qu'elle pouvait avoir dans les poches, les choses oubliées, et quelques objets de loisir ou de dévotion. (Je porterai tout ce qui suit dans mes poches dimanche, pour voir si c'est crédible, ou si j'ai les poches trop pleines :P ) 



 


Ce qui donne :

- Un mouchoir de col supplémentaire, en coton léger rose à petits motifs noirs. Il appartenait à mes grands-tantes. Je ne saurais pas le dater, mais il passe assez bien pour du XVIIIe.

- Un torchon/chiffon. Le mien est encore trop propret, même s'il a vécu. Un torchon d'usage quotidien aurait peut-être mérité le nom de chiffon à l'époque. Avec l'usage, il ne devait pas être en meilleur état qu'un vieux chiffon. A la fois pour le travail (les femmes de la Halle vendent légumes fruits, poissons et viandes), mais aussi pour se protéger la tête en cas de pluie sans doute.


 Dimanche, j'essayerai d'en faire une photo pour vous montrer ce que ça donne à peu-près en vrai.

- Un chiffon non ourlé tenant lieu de mouchoir à moucher.

- Un couteau. J'ai choisi ce genre de couteau plutôt qu'un opinel par exemple, parce qu'il est sans marque sur le manche (contrairement aux opinels), et parce que je suis sûre qu'il existait à l'époque (contrairement, encore, à opinel)  : c'est un couteau de ce genre qui a tué Henry IV. C'est donc aussi un couteau facile à trouver à Paris (vente ou échange). Par ailleurs, c'est un couteau solide pour le travail et pour le quotidien. Tout le monde a son couteau dans la poche. Les couverts sont rares. On pique et mange sur le pointe de son couteau.

- Des ciseaux. Usages mutiples et variés. De très nombreuses femmes ont leur ciseaux sur elle, pour couper des ficelles pour envelopper les marchandises, couper du tissu, du fil, si on fait de la couture, etc.

- Un tire-bouchon. A la Halle, on vend de l'alcool, un tire-bouchon est donc un instrument qui paraît évident dans les poches d'une dame de la Halle. Mais pas seulement. Il faut se rappeler que tout au long du XVIIIe, on considère (à raison) que l'eau transporte des maladies. En France, cela se traduit par la toilette sèche (se laver à l'eau serait dangereux) et par une peur de boire de l'eau. On pense au contraire que boire de l'alcool est meilleur pour la santé, l'alcool tuerait les maladies. Le peuple ne boit donc presque que de l'alcool, non pas parce qu'il est "soûlard" comme il se lit dans les descriptions de l'époque et des historiens réactionnaires, mais parce que c'est la manière de vivre de l'époque, c'est "hygiénique". Le dernier quart du siècle voit une évolution des mentalités, l'eau est de mieux en mieux acceptée. Mais il est plus facile de s'en procurer qui soit potable quand on est riche. Louis XVI a fait installer une fontaine publique dans Paris. UNE. Ce fut un gros changement pour une partie du peuple, mais pas pour tous.

- Un étui de bois, pour mettre par exemple de longues aiguilles ou des piques à chapeau à peu près similaire à celle montrée ici : pique avec une fausse perle.

- Un petit étui de bois pour mettre des jetons de jeu. Les miens, ici, sont à priori du XVIIIe (j'ai un énoooorme doute...), et sont en nâcre. Ceux de ma marchande de légumes auraient probablement été en bois. Pourquoi des jetons de jeu ? Parce que le jeu fait partie du quotidien, on joue beaucoup à l'époque moderne. Une femme qui travaille près des tavernes et sans doute avec elles, comme fournisseuse, devait sans doute jouer de temps en temps à des jeux de cartes. Elle aurait pu avoir un paquet de cartes, ou un reçu de tombola, par exemple.

- Une bobine de fil

- Un coussin carré pour piquer des épingles. A porter dans les poches, ou, comme moi, suspendu à la taille. Plutôt un élément de la vie de maison de ma marchande. Mon coussin, trouvé dans les affaires  de ma grand-tante, appartenait sans doute à mon arrière-grand-mère ou à mon arrière-grand tante, toutes les deux couturières de profession. J'ai rajouté le lien. Il resssemble par la forme à ce petit pique-épingles :

Chardin, Petite fille jouant au volant, 1741

- Un dé à coudre (que j'ai oublié de photographier).

- Une petite bourse en cuir (la mienne est en faux-daim) pour mettre de l'argent, ou des petits objets comme le dés à coudre.

- Un craie (ici de tailleur), pour marquer les prix sur son étal, par exemple.

- Un chapelet de fausse perles dans un papier plié. J'ai trouvé la manière de l'emballer très intéressante (cf transcription), je l'ai donc reproduite.


- Un livre de messe. Ici un livre de 1905, mais qui a la taille et le poids que devait avoir au XVIIIe, ces petits livres de dévotion. J'ai bien un livre d'étude des belles lettres (!) de 1805, mais il fait deux fois cette taille et pèse deux ânes morts.

- Une petite boîte métalique contenant deux anneaux d'oreille en similor (mélange de zinc et d'étain qui ressemblait à l'or, très à la mode à l'époque. Les miennes sont sans doute vulgairement en alu ^^ ). J'envisage, de les mettre dans le petit étui de bois avec les jetons de jeu, je ne suis pas satisfaite de la véracité de la petite boite métalique.

- Deux papiers : une vieille liste de courses de légumes (récupérée en ligne) chiffonnée et oubliée au fond des poches trop profondes. Et une quittance que j'ai trouvé qur le même site (quittance de bois) et que j'ai très légèrement modifiée (Aaaaah Photoshop...).

- Manque une grosse clé ancienne, lourde (de maison). Je n'en ai pas sous la main qui ne soit pas déjà utilisée (la cabane de jardin de mon père) et pleine de graisse (iiiikkkk !!). Mais c'est un élément indispensable dans les poches, et un élément qui pèse lourd.

Tous ces éléments ou presque, se trouvent sous une forme ou une autre dans les poches de la transcription citée ci-dessus.


Rendez-vous lundi pour la suite !

Commentaires

  1. Salut, je viens de te décerner très officiellement une récompense pour ce blog; plus de détails ici: http://en-robee.blogspot.fr/2015/07/et-les-nomines-sont.html

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